Inégalité dans la transmission du nom de famille de parents homosexuels à l’enfant en Europe
de Frédéric Mertens de Wilmars
La question de la transmission du nom à l’enfant se pose non seulement dans le cadre de l’égalité entre les femmes et les hommes mais aussi lorsque celui-ci a des parents du même sexe. Dans les deux cas, on observe que le Droit tente de répondre aux inégalités liées au nom de famille et au sexe des parents, à l’instar de la transmission du nom au conjoint dans un couple. De nombreux législateurs et juges se sont engagés dans la voie de la conciliation entre le “fait homosexuel” et l’égalité entre les enfants, quel que soit le mode de filiation dont ils bénéficient. L’égalité devant le nom concerne aussi les enfants de parents homosexuels.
Parmi les multiples aspects juridiques d’une filiation au sein d’un couple homosexuel, se pose la question de l’attribution du nom de famille à l’enfant. Qui des deux pères ou des deux mères lui transmet le patronyme et sur la base de quel(s) critère(s)? Ensuite, il y a lieu de voir s’il y a inégalité devant le nom entre les enfants d’homosexuels et ceux des hétérosexuels. Enfin, au-delà de cette différence de traitement, émerge le débat sur l’opportunité ou non de maintenir un lien entre l’identité sexuelle et la transmission du nom.
Les cas de transmission du nom de l’enfant d’un couple homosexuel
D’abord, le cas le plus simple est celui d’un couple de femmes dont l’une d’elles accouche de l’enfant. «Mater semper certa est». Elle attribuera son nom à celui-ci. Quant à l’autre femme, par le biais de l’adoption, elle pourra accoler son nom à celui de la mère biologique. Par ailleurs, si les deux femmes adoptent, selon la législation applicable, l’enfant portera le nom de l’une des adoptantes ou des deux adoptantes.
Le cas des couples masculins est plus complexe puisqu’il varie selon la modalité de filiation établie: l’adoption ou la gestation pour autrui.
Si l’adoption leur est ouverte dans leur pays et celui de l’adopté, logiquement la situation devrait être semblable à celle des parents hétérosexuels. L’enfant portera le nom de l’un ou de l’autre ou des deux parents adoptants. Dans ce cas, la situation de l’enfant devant le nom est identique à celle des enfants de couples féminins et de couples hétérosexuels.
En revanche, en matière de gestation pour autrui qui, pour des raisons bioéthiques est interdite dans de nombreux pays européens et donc pratiquée à l’extérieur de ceux-ci (ex : USA), le lien de filiation établi au lieu de naissance – à l’étranger – est difficilement reconnu dans le pays du couple homosexuel. Quand bien même la filiation leur serait reconnue, l’enfant porterait le nom du père qui a fait don de son sperme, le nom de celui-ci associé à celui de la mère porteuse ou encore le nom des deux pères.
Inégalité devant la transmission du nom de famille à l’enfant?
S’il est difficile de déceler une inégalité flagrante relative à la transmission du nom aux enfants entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels – mariés ou non – on peut néanmoins relever que les différences d’établissement de la filiation peuvent générer, dans certains cas, des inégalités en ce domaine.
En effet, les mécanismes de filiation sont plus avantageux et ouverts pour les parents hétérosexuels que pour les parents homosexuels. Les législations variant d’un pays à l’autre, on observe souvent que l’enfant porte le nom du parent qui est intervenu «matériellement» dans la filiation (don de sperme et accouchement). L’autre papa ou maman devra souvent passer par une adoption qui n’est pas admise dans tous les pays.
Par ailleurs, il est paradoxal que dans les pays où est reconnu aux couples homosexuels – féminins et masculins – le droit à établir une filiation, il peut y avoir une inégalité entre les mères lesbiennes et les pères homosexuels. Le Droit n’est pas le fait naturel mais il est vrai que si une femme lesbienne accouche, l’enfant portera automatiquement son nom alors que cet automatisme ne bénéficie pas à l’homme qui donne son sperme ou qui a recours à l’adoption, et encore moins naturellement dans le cadre d’une gestation pour autrui!
Le lien entre le sexe ou l’orientation sexuelle et l’attribution du nom de famille à l’enfant
Le prénom et le nom font partie intégrante de l’identité des individus et sont protégés à ce titre par les Droits de l’homme, tant en Droit international (ONU, Conseil de l’Europe, Union européenne, etc.) qu’en Droit national. La transmission du nom est donc fondamentale et il est logique qu’elle soit régulée par la loi. Or, le cadre légal est généralement empreint d’une conception historique ou conservatrice des modalités de transmission du nom, au conjoint ou à l’enfant dans ce cas-ci. Conception qui est fondée sur l’hétérosexualité.
Certes, de plus en plus d’Etats reconnaissent juridiquement le “fait homosexuel” dans le contexte de la filiation mais le sexe et/ou l’orientation sexuelle peut constituer une source d’inégalité dans la transmission du nom. Aussi, peut-on se poser la question de la raison et de la nécessité de cette association. En effet, pour sortir de l’impasse des inégalités présentes et à venir liées à l’évolution des modalités de la filiation, sans doute faudrait-il faire reposer la transmission du nom sur le critère de l’affectivité, de la responsabilité ou de la solidarité, par exemple.
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Frédéric Mertens de Wilmars (Bruxelles, 1973) est docteur en droit et professeur à l’Université de Valencia (Espagne) où il enseigne les droits de l’homme et droits sociaux ainsi que les questions liées au statut juridique de la femme. Ses travaux et publications portent essentiellement sur la parité et la participation des femmes à la gouvernance.
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