Pendant pratiquement toute sa vie, Hélène[1] a travaillé en tant que femme de ménage au Grand-Duché du Luxembourg. Reconnaissante d’avoir eu un travail qui lui aura permis de vivre convenablement et de subvenir aux besoins de ses 3 enfants, elle ne nie cependant pas que ce soit un travail difficile.
« C’est un travail difficile, si pas un travail des plus difficiles. Tu dois te baisser, faire la poussière partout, nettoyer les fenêtres, frotter des sols… C’est un travail où tu n’as pas de répit, tu ne t’arrêtes pas. Tu as un temps bien précis pour faire toutes les tâches demandées. De tous les emplois que j’ai eus dans ma vie, je trouve que c’est le travail le plus difficile. »
Hormis la cadence très difficile à tenir, Hélène insiste beaucoup sur les conséquences physiques qu’elle-même a pu remarquer suite à toutes ces années de ménage.
« Pour moi qui ai fait ça toute ma vie, je peux te dire que je suis KO. Mon corps est détruit. Parfois je me baisse et je n’arrive pas à me relever, alors que j’ai à peine 50 ans. Je sais que c’est lié au travail que j’ai fait toutes ces années. Et je sais que mon corps sera détruit pour toujours. Je serai comme ça jusqu’à la fin. »
Pour elle c’est évident que son corps sera marqué à jamais. Elle ne serait pas la seule personne à arriver à cette conclusion. Beaucoup de ses collègues constatent la même chose après certaines années. Le métier qu’elles pratiquent laisse des traces sur leurs corps. Pour certaines de graves problèmes de dos ou de genoux se manifestent après un moment, les menant parfois jusqu’à des opérations. Hélène déplore la fait que l’on n’en parle pas du tout.
« Les gens n’ont aucune idée du mal qu’on fait à notre corps en faisant ce travail. Parce que c’est ça, on fait souffrir notre corps, tous les jours, non-stop, pendant des années. Et pour certaines c’est pire que pour d’autres. Certaines travaillent dans des conditions horribles. Elles sont physiquement et même psychologiquement poussées à bout. Mais elles continuent, parce qu’elles ont des factures à payer, comme tout le monde. Donc elles continuent et ne disent rien. De toute façon qu’est-ce qu’elles vont dire ? À qui elles vont parler ? C’est qui qui va prendre au sérieux une femme de ménage ? »
Pourquoi est-ce que l’on ne prendrait pas une femme de ménage au sérieux ? Hélène trouve cette question drôle :
« Le nom ‘femme de ménage’ veut tout dire, pas besoin d’aller chercher très loin. On part du principe que tu es une femme, qui n’est bonne qu’à faire le ménage, comme si tu ne valais pas plus. C’est pour ça qu’ils ont probablement changé la dénomination du poste. Aujourd’hui on dit femme de charge. Mais ce n’est pas en changeant le nom qu’on va changer la valeur qu’on donne au métier. »
Pour Hélène c’est clair, le métier n’est pas respecté à sa juste valeur.
« Ça devrait être plus respecté, bien sûr. Les femmes de ménage nettoient les bureaux, les hôpitaux, les crèches, les écoles. Moi j’ai travaillé dans un hôpital par exemple pendant des années. Le bien-être des patients et des professionnels dépend de notre travail. Surtout dans un hôpital, où l’hygiène est primordiale. »
On ne peut donc pas remettre en question l’importance de toutes les personnes qui exercent ce métier. Pourtant c’est ce qui est encore fait. Pour l’interlocutrice, les femmes de ménage sont, en général, considérées comme « inférieures »
« On est perçu comme faisant partie de catégories plus basses, comme si on était inférieur. Comme si on valait moins, parce qu’on exerce un métier où il ne faut pas forcément avoir fait de grandes études. »
Pourtant Hélène tient à insister sur le fait qu’une personne qui exerce ce métier a autant de capacités que quelconque autre personne. Les aléas de la vie ne permettent cependant pas à tout le monde de pouvoir évoluer dans d’autres branches professionnelles.
« Tu es là pour gagner ton argent. Parfois on n’a pas la possibilité aussi d’apprendre autre chose et de sortir du ménage. On rentre dans le ménage et on y reste, parce qu’on a besoin de manger, on doit nourrir nos enfants. On a peur de lâcher un travail pour se former à autre chose parce qu’on ne sait pas si ça va marcher. Avec les années, tu comprends que tu aurais pu faire beaucoup d’autres choses et que tu as très bien les capacités pour faire d’autres choses. Mais bon, c’est comme ça. »
C’est des dangers auxquelles seraient confrontées les femmes de ménage. À un moment, elles risquent d’oublier qu’elles ne sont pas « que » femmes de ménage. Elles sont avant tout des femmes avec de multiples capacités, mais elles n’ont malheureusement pas toujours l’occasion de les développer.
« C’est un métier qui est souvent vu comme dégradant. Et je crois que ça peut créer chez les personnes qui l’exercent un sentiment d’infériorité. En tout cas c’est ce que j’ai pu observer chez moi. Tous les jours on te rappelle que tu n’as pas de valeur parce que tu fais un métier qui n’a pas de valeur. Je pense que ça peut avoir un impact sur ton estime personnelle, surtout si on te le rappelle tout le temps. »
Il y aurait une constante tendance à dénigrer le métier de femme de ménage, alors que c’est un métier qui est indispensable à la société. C’est un phénomène qu’Hélène a du mal à comprendre, mais qu’elle a fini par accepter au fil des années.
« Tu le vois quand tu dis aux gens que tu es femme de ménage, que leur comportement change. Ou quand certains te voient dans ton uniforme de travail, tu sens bien leur regard condescendant. Tu sais que tu fais un métier qui est complètement dévalorisé aux yeux des gens. Moi je me pose alors la question : comment est-ce que les gens, les entreprises, etc. feraient si demain toutes les femmes de ménage arrêtaient de travailler. Peut-être qu’à ce moment-là ils se rendraient compte de l’importance de ces gens qu’ils perçoivent comme inférieurs. Peut-être qu’ils donneraient un peu plus de valeur à ces gens qui se cassent quotidiennement le dos pour que leur vie soit clean[2] »
Au final, il s’agit d’un travail, d’un métier, duquel il ne faut pas avoir honte, selon Hélène.
« Je fais mon travail avec dignité. Je veux que mon travail soit bien fait. Il ne faut pas avoir honte de dire qu’on est femme de ménage, mais je comprends les personnes qui en ont honte.
C’est ce métier qui nous permet de manger, d’offrir à nos enfants ce dont ils ont besoin, donc on ne peut pas cracher dessus. Mais ce serait bien d’avoir un peu de reconnaissance pour ce que l’on fait. Si pas de la reconnaissance, au moins du respect, parce que même ça on n’en a pas parfois. »
- Femme, 49 ans, 3 enfants
[1] Nom d’emprunt pour respecter l’anonymat de l’interlocutrice
[2] propre
Témoignage recuilli par Mirlene Fonseca Monteiro, membre de FINKAPE
Lire aussi: Témoignage – “Ma mère, la femme de ménage”
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