Encourager les hommes à prendre le congé parental, interdire l’accès des entreprises qui ne respectent pas l’égalité professionnelle aux marchés publics, mettre la pression sur les hommes qui ne paient pas leur pension alimentaire à leur ex-compagne, pousser le Conseil supérieur de l’audiovisuel à débusquer les stéréotypes sexistes. Tout ça sans oublier de mieux protéger les femmes victimes de violences conjugales. Voilà les grands traits du projet de loi intitulé «Pour l’égalité entre les femmes et les hommes», présenté ce mercredi en Conseil des ministres par la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem. Ambitieux ? Oui. Fourre-Tout ? «Parce que les inégalités sont partout, nous devons agir partout», justifie la ministre.
Mais au fond fallait-il encore légiférer alors que tout un arsenal législatif existe déjà, sur l’égalité professionnelle, les violences ou encore la parité en politique ou au sein des conseils d’administration ? Entretien avec Réjane Sénac, chercheure CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po – Cevipof, auteur de L’invention de la diversité (PUF, 2012) et présidente de la commission parité du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, qui a donné un avis général favorable au projet de loi.
Doit-on passer nécessairement par la loi pour promouvoir l’égalité femmes-hommes?
Je retournerais la question : comment promouvoir l’égalité femmes-hommes en dehors de la loi au sens de ce qui fait norme ? Le droit agit en effet sur les conduites individuelles et collectives, pas seulement par les sanctions légales qui accompagnent son non-respect, mais aussi par le poids de la norme sociale qu’il incarne. Le sexisme est notre inconscient républicain, comme en témoigne l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : il affirme que les hommes naissent libres et égaux en droits mais ne s’est pas appliqué aux femmes pendant deux siècles, sans que cela ne soit perçu comme contradictoire avec le principe d’égalité.
Rappelons que le Code civil de 1804 consacre l’incapacité juridique de la femme mariée et que les droits accordés ensuite aux femmes, tels que l’interdiction du travail de nuit en 1892, l’ont été pour protéger la fonction de mère et non pour reconnaître les femmes comme des individus à part entière. C’est ainsi que les Françaises ont dû attendre jusqu’en 1965 pour gérer leurs biens propres et exercer une profession sans autorisation maritale. Cette loi participe au défi qui consiste à repenser la cohérence du droit pour porter un républicanisme non pas idéalisé mais critique afin que l’égalité s’applique à toutes et à tous.
De nombreuses lois ont pourtant été votées et les chiffres sont toujours aussi désolants…
Beaucoup de lois ont, en effet, été adoptées depuis les années 70 et cela peut donner l’impression que le temps n’est plus à légiférer. Or, j’estime avec la juriste Annie Junter que les lois concernant l’égalité femmes-hommes sont «hors la loi» car elles ne sont pas contraignantes, les sanctions n’existant pas ou n’étant pas appliquées. Citons les lois sur l’égalité professionnelle qui, du principe d’égalité salariale énoncé dès 1972 aux lois de 1983, 2001, 2006 ou 2010, ne sont pas efficaces car pas efficientes. Ainsi, lorsqu’il s’agit de lutter contre les inégalités femmes-hommes, la loi perd son autorité. Cette nouvelle loi est une occasion pour donner à l’égalité les moyens de son application.
Faut-il une loi transversale pour autant?
L’approche par secteur de politique publique (éducation, santé, emploi, sécurité…) ne permet pas de déconstruire les inégalités entre les sexes comme système de constructions sociales hiérarchisées. Le risque est de mettre en concurrence les thématiques (contraception, violences, égalité professionnelle, partage du pouvoir…), les types d’inégalité (sexuées, racialisées, sociales…) et d’avoir des effets contradictoires entre secteurs. A titre d’exemple, les politiques familiales et les politiques d’emploi peuvent être en tension au regard de l’objectif d’égalité femmes-hommes, comme en témoigne l’augmentation du travail à temps partiel féminin de 21% en 1990 à 30% en 2011. Les vives polémiques suite à l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe montrent l’importance de penser la déconstruction des inégalités de manière transversale. Le défi lancé à la République est d’appréhender l’entremêlement des différences (en particulier sexuées, d’orientation sexuelle, racialisées ou sociales) au regard du projet politique d’égalité et non du recours au mythe de la complémentarité des différences.
Quels sont les freins encore aujourd’hui?
En 2013, les individus sont encore assignés à des comportements sexués binaires se limitant à être une bonne mère ou un bon père que cela soit dans la vie privée comme dans la vie publique. C’est ainsi que les femmes doivent faire du management maternant, de la politique autrement plus dans l’empathie dans l’écoute… Alors que les hommes sont encore les dépositaires de l’autorité.
Si les femmes ont gagné le droit, voire le devoir, d’être désormais présentes dans des territoires dont elles étaient naguère exclues (école, entreprise, politique etc.) c’est au nom de la «plus-value» de la mixité : cela ne refonde pas un ordre social égalitaire, mais rend acceptable, voire souhaitable, l’ordre sexué qui a justifié leur exclusion du contrat social au nom de leur «moins-value naturelle». Dans un contexte de crise, la tentation est forte de porter les politiques d’égalité comme un investissement social. Or pour être paires, il ne faut pas seulement moderniser, mais dépasser le mythe fondateur de la complémentarité. Cette loi a donc pour défi d’être efficace au sens de transformatrice. En savoir plus…
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