Lecture 4 – Cristina Golinucci

Lecture 4 – Cristina Golinucci

La petite voiture avance péniblement sur la pente raide qui mène au couvent des frères capucins de Cesena. Il est 7 h 30 du matin et la place est déserte. Marisa Golinucci gare sa voiture à l’endroit où la Fiat 500 turquoise de sa fille a été retrouvée vide et fermée à clé. Le vent de septembre est glacial, les grands arbres nous font de l’ombre.

On ne sait pas si Cristina a emprunté les escaliers ou si elle a tourné par-là, sur la route.

explique Marisa, en s’appuyant sur une canne et en descendant à petits pas les escaliers en fer. Elle respire péniblement. Elle ne se lasse jamais de raconter l’histoire de la disparition de Cristina, sa fille : elle n’a jamais cessé de la chercher, pas un seul jour.

Avant, cette porte n’existait pas, maintenant, les frères entrent par-là, c’est là où se trouvent leurs chambres à coucher.

dit-elle en entrouvrant les paupières.

Si nous étions venus directement avec les chiens, on l’aurait peut-être retrouvée. Tout a changé depuis ce jour. Ici, ils ont construit ce muret, ces terrains étaient entretenus, cultivés.

Elle soupire en levant le regard, vers la plaine.

 

Cristina Golinucci a disparu le 1er septembre 1992.

Elle avait vingt et un ans. Elle revenait tout juste d’une colonie de vacances où elle avait travaillé comme animatrice. Ce jour-là, elle devait rencontrer le père Lino, son confesseur et confident. 

Elle a quitté la maison à 13 h 55 et elle m’a dit qu’on se retrouverait le soir, pour aller ensemble à la fête de notre village, Ronta. Alors que j’étais à la maison en train de faire le ménage, à 14 h 20, les choses ont soudainement commencé à me glisser des mains, comme si c’était du beurre. C’était elle, elle me demandait de l’aide,  mais ce n’est que plus tard que je l’ai compris.

En fin d’après-midi, ne la voyant pas rentrer, sa mère a commencé à s’inquiéter. Elle est allée au couvent, mais le père Lino ne l’a pas laissée entrer.

Le moine a donné des versions contradictoires de ces heures cruciales. Dans un premier temps, il a dit qu’il avait attendu Cristina devant le portail après qu’elle l’a averti de sa visite par téléphone. Par la suite, il a raconté qu’il était en train de dormir et, finalement, qu’il était occupé à faire des travaux d’entretien avec des résidents du couvent.

J’étais certaine que ma fille avait disparu près du couvent, j’ai donc tout de suite demandé qu’on inspecte l’église, notamment à l’aide du chien de la brigade cynophile, mais le père Lino s’y est opposé et nous a claqué la porte au nez. J’y suis retournée à plusieurs reprises. Nous sommes venus nombreux, pour faire des sit-in de protestation : ça n’a servi à rien. Pour le prêtre, il n’y avait rien à chercher, les jeunes qu’il accueillait étaient des gens bien.

Les autorités compétentes n’ont pas tout de suite pris au sérieux la disparition de la « jeune fille d’1 m 65, à la corpulence robuste, aux cheveux bruns et aux yeux bleus » – c’est ainsi que l’avis de recherche la décrivait –, et on a considéré son cas comme une disparition volontaire. Pourtant, pour Marisa et son mari, il est impossible qu’elle soit partie de son plein gré. C’était une jeune fille qui ne se montait pas la tête et qui n’avait jamais eu de coup de folie, d’après ce que les journaux de l’époque ont déclaré. Elle avait un travail, ses activités de volontariat à la paroisse lui tenaient à cœur, elle était attachée à sa famille. Les semaines qui ont suivi, on a aussi perdu la trace, dans la même zone, d’une autre femme, Chiara Bolognesi. À la suite d’un signalement anonyme, son corps a été retrouvé au fond du fleuve Savio. L’enquête officielle penchait pour un suicide.

Nous avons cherché Cristina partout : nous avons regardé dans les puits, dans les champs et dans les prés pour voir si la terre n’avait pas été retournée. On prenait en compte les signalements, même les plus sensibles. On a fait tout notre possible.

L’affaire a pris un nouveau tournant trois ans plus tard, en 1995, quand une jeune femme a été violée non loin du couvent des frères capucins. Un jeune étranger appelé Emmanuel a été arrêté, il était hébergé au couvent au moment de la disparition de Cristina. Lorsqu’il était en prison, le père Lino est allé le voir et lui a demandé s’il était responsable de sa disparition. Le religieux a rapporté aux carabiniers que le violeur lui avait répondu en pleurant que c’était lui le coupable, ajoutant qu’il était un monstre, un assassin, demandant pardon à Dieu pour ce qu’il avait fait.

Ces aveux ne reposent sur aucun élément de preuve, et les écoutes mises en place par la suite n’ont rien confirmé : ils n’ont jamais été réitérés. En 1998, on a perdu la trace d’Emanuel, après que ce dernier a purgé une peine de prison de trois ans pour viol. En juillet 1997, la première vraie opération de vérification des différentes zones du couvent a eu lieu, au cours de laquelle on a notamment inspecté la citerne profonde de quinze mètres, le cellier, la cave et les galeries souterraines. Après la perquisition, le père Lino a écrit une lettre cinglante à la famille Golinucci, dans laquelle il qualifiait la descente de police d’« humiliante ». La mère ne s’est pas laissée intimider par ces reproches. Dans une interview de l’Huffington Post du 17 novembre 2018, elle a déclaré ceci :

Je pense qu’on a fait disparaître le corps de ma fille soit dans le couvent soit aux alentours, pas loin. Mais le prieur de l’époque a fait obstacle à l’enquête.

Entretemps, le père Lino est tombé malade. Marisa lui a rendu visite à l’hôpital, pour voir s’il avait des révélations à faire sur son lit de mort.

Il m’a reçue, mais ça se voyait qu’il n’avait plus toute sa tête. Je lui ai dit que j’étais la maman de Cristina. Et il m’a dit : “Ah, Cristina, elle est ici “, en montrant son cœur. Je n’ai pas eu le courage de continuer. Au fil des ans, j’ai reçu des coups de téléphone anonymes, il y a eu des signalements présumés. J’ai toujours eu l’espoir que quelqu’un m’aide à trouver la vérité. Ma fille a été victime d’un féminicide, j’en suis sûre, je voudrais au moins trouver ses ossements pour pouvoir l’enterre.

 

@TimeForEquality 2021 – Réproduction autorisée en mentionant la source

 

 icon-arrow-left  GiacomoLettre de Giovanna Zizzo à sa fille, Laura Russo  icon-arrow-right 

 

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