Ma Chérie,
J’ai tenté ces dernières années de remplir le vide et le désarroi de ta disparition, qui n’a pas uniquement été la disparition de ce lien viscéral et indissoluble entre une mère et sa fille, de la singularité de deux âmes étroitement liées, inséparables, si ce n’est au prix de profondes lacérations. Avec toi, s’en sont allés ton sourire lumineux, la tendresse et la spontanéité de tes embrassades, toujours dans l’échange, dans le partage, une présence presque irrésistible dont on avait besoin.
On peut perdre une fille, mais pas de cette façon.
Ce sont là les piliers fondateurs de toute une vie qui disparaissent. Car la mort par féminicide n’efface pas seulement le sourire et l’amour de la vie, mais il dépossède du droit à sourire et à vivre. Indigne de vivre et privée de dignité dans la mort. Le silence qui chasse de notre conscience collective ces crimes n’est pas un silence enveloppé de respect, mais il s’agit de la loi hypocrite du silence imposée par ceux qui acquittent, excusent, le meurtrier, afin de rejeter la faute sur la victime et de la discréditer.
J’ai tenté du mieux que j’ai pu de rompre le silence. Je te devais ça et, un en sens, c’est comme si tu marchais toujours à mes côtés. Je ne l’ai pas fait par intérêt personnel : rien ni personne ne pourra remonter le fil de ton histoire, de nos histoires, pour essayer d’en changer l’issue. Au contraire, j’ai subi d’autres revers et j’ai accumulé tant d’amertume. J’ai recueilli la douleur de tant d’autres mères, de tant d’autres femmes anéanties par l’engrenage perfide de la violence qui, bien loin d’être une seule affaire privée, est aussi politique et culturelle.
Les petites avancées semblent être englouties par le trou noir de la misogynie la plus rétrograde. Je suis lasse de tous ces mots, lasse de combattre contre des moulins à vent.
Il y a toujours un revers à la médaille : d’un côté il y a la souffrance et la solitude des victimes et des personnes qui les ont vraiment aimées ; de l’autre, il y a l’insensibilité de ceux qui profitent de la situation et du malheur des autres, qui n’hésitent pas à spéculer sur la douleur de vies brisées. Ou à passer à autre chose avec une supériorité indifférente. Le dernier pilier qui donnait un sens à mon semblant de vie est en train de s’effondrer aussi : croire, espérer, lutter pour un monde plus juste, où tous et toutes ont les mêmes droits, sans discriminations basées sur le genre, la race la religion.
Je me cramponne à celles et ceux, femmes et hommes, qui ont encore une rare once d’humanité, avec la reconnaissance d’un naufragé à la rescousse qui trouve une nouvelle terre. En même temps je me rends compte que nous avons besoin, plus que jamais en ces temps obscurs, d’ouvrir une brèche dans la jungle des faux prophètes, des faux héros, des faux amis, et même des personnes faussement affligées.
Et toi, paradoxalement, toi qui n’es plus là, tu es plus que jamais l’étoile du berger qui me guide.
Ta maman pour toujours.
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